Futur Intérieur

Jérôme Provençal
Mouvement (04/07)

Concevant la musique avant tout comme une mise en espace, Mathias Delplanque élabore des pièces (parfois sous des noms d’emprunts, dont le plus fameux est celui de Lena) à la fois prospectives et introspectives, sophistiquées et simples d’accès, au coeur desquelles il fait bon se mouvoir, et s’émouvoir. "La période est réactionnaire, frileuse. je ne vois qu’une nostalgie malsaine autour de moi, un rattachement à des valeurs éculées. Le caractère cyclique de la pop (dans les années 1990, on était nostalgique des années 1970, dans les années 2000, on est nostalgique des années 1980) est une des choses les plus déprimantes qui nous soit donnée à vivre. Je ne m’intéresse qu’aux artistes qui court-circuitent ce processus, ceux qui suivent leur logique propre". A la frilosité dont il fait, à raison, grief à notre peu exaltant temps présent, Mathias Delplanque, trentre-trois ans, oppose une calme hardiesse, grâce à laquelle, depuis 2000 - date de son premier disque, "Journée Portes ouvertes", signé Bidlo -, il bâtit une oeuvre strictement indépendante, qu’en ce printemps 2007 Ia parution de plusieurs enregistrements concordants devrait porter à un bel épanouissement. De nature aussi variable que leur facture est impeccable, ces enregistrements paraissent sous deux identités différentes: à l’album "Le Pavillon témoin", splendide exemple de vagabondage sensible, que Mathias Delplanque publie sous son nom, s’ajoutent deux disques - un maxi, "Circonstances", et un recueil d’inédits et de remixes, "The Uncertain Trail" - composés sous le pseudo de Lena, projet orienté dub (tendance minimale) auquel deux albums ("Lane", en 2002, et "Floating Roots", en 2004) sortis antérieurement sur Quatermass, la division électronique de Sub Rosa, ont déjà valu à leur auteur une reconnaissance méritée. Sans rapport avec une quelconque pulsion schizophrénique, ces variarions identitaires traduisent chez lui un fervent désir d’expression libre - doublé d’un fort souci de cohérence, à travers les diverses formes que cette expression peur revêtir -, et répondent à la volonté affirmée de ne se laisser enfermer dans aucun style - même si le dub a occupé, et continue d’occuper une place particulière dans son approche de la musique. "Je ne me considère pas comme un musicien dub, parce que, d’une part, ça ne recouvre pas la totalité de mon travail musical, et que, d’autre part, ma façon de faire du dub n’est pas très orthodoxe. Je suis sans arrêt en train de tirer le dub vers d’autres choses - ou inversement, de ramener ces autres choses vers le dub. Ceci dit, mon attachement à cette musique est réel et très profond. C’est une scène que j’ai découverte assez tard, à l’âge adulte - mais mon enfance en Afrique (et le bouillon de musiques traditionnelles, de reggae, de zouk et de disco dans lequel je baignais) a certainement dû me préparer à I’accueillir -, et qui affecte en profondeur l’ensemble de mon travail". Si du dub (et du bon!) s’écoule à foison de "The Uncertain Trail", son influence ne se fait guère sentir sur "Le Pavillon témoin" : sans doute s’exerce-t-elle à ce niveau d’imperceptibilité où se creusent les fondations. Plus repérables, d’autres courants (la musique concrète, l’electronica, le folk, le krautrock, etc.) traversent ce pavillon pas banal - et hautement hospitalier, à tel point qu’on ne veut plus le quitter -, mais aucun ne se veut dominant. Aussi l’auditeur peut-il divaguer à sa guise, au son d’une musique étonnamment affranchie, dans laquelle la part d’utopie est, à l’évidence, primordiale. Elle l’est tout autant dans "SOL", performance live récemment mise en ligne par le netlabel Insubordinations, et dans "Ma chambre quand je n’y suis pas (Montréal)", longue plage atmosphérique au bord du silence, version stéréo d’une installation sonore présentée à Montréal en décembre 2004, dans le cadre du bien nommé programme de résidence Les Inclassables. Ce qui fait le lien entre toutes ces expériences, c’est le besoin, vital, de changer d’air(e). "La seule chose qui m’intéresse, c’est l’invention, l’apparition d’une forme nouvelle, qui est toujours une sorte de surgissement, de fulgurance".